19/12/2012

Prédication du 20 janvier 2013 à la cathédrale St-Pierre: prédication


On t’a fait connaître, ô humain, ce qui est bon, ce que Dieu attend de toi…(Michée 6, 6-8)

Mais l’humain, Adam, n’écoute pas ; Adam le glébeux, tiré de la terre et animé du souffle, créature érigée dans une humanité qui se révolte contre son Créateur, Adam résiste et s’invente une religion sanglante qui sert un dieu cruel et punitif qu’il faut amadouer à force de sacrifices et d’offrandes…milliers de bêtes, torrents d’huile, crimes sanglants pour apaiser un dieu qui rétribue selon son bon plaisir…

Adam ne peut pas croire à la grâce offerte par son Dieu ; une grâce qu’il ne faudrait pas payer un jour ou l’autre ? Voyons, cela n’existe pas !

Adam se sent coupable ; il se sait imparfait tout en se rêvant tout-puissant ; il se rêve Dieu alors qu’il patauge dans la souffrance ; et sa violence, mille fois rejouée, défigure l’humain et défigure la terre;  alors Adam est prêt à tout donner, jusqu’à la vie de son propre enfant pour obtenir de Dieu grâce et pardon.  Adam est passé maître dans l’art de monnayer sa vie, sa réussite, sa santé, sa fortune, son pouvoir et sa bonne conscience.

Hé, Dieu si je te donne une grosse somme d’argent, ce que j’ai de plus précieux…m’accorderas-tu…ce que je veux (guérison, succès, bonheur…)

Dis-moi ce que je dois te donner pour éviter maladie, malheur et infortune…

Adam fait du troc avec Dieu ; il pense pouvoir manipuler Dieu.

La voix du prophète Michée tonne et lui dit : Stop, Adam ! Arrête !

Ce que Dieu attend de toi, c’est tout autre chose que ton bétail et tes biens …c’est de toi qu’il a besoin : de tes mains, de ton cœur, de ta sueur, de ton intelligence et Dieu place devant toi 3 actions, qu’il te faut saisir : 3 verbes : pratiquer, aimer, marcher.

Ce que tu possèdes n’intéresse pas Dieu ; ce que tu es toi, ce que tu es capable d’accomplir avec ta propre vie, voilà ce que Dieu veut, voilà ce qu’il revendique.

Pratique la justice, fais régner le droit, ne favorise personne, protège les plus faibles, ne bafoue pas le droit du pauvre, du marginal, de l’étranger, des plus fragiles et répartis les richesses, donne un sens à l’économie  pour améliorer la vie de tous.

Aime la bonté, ne fais pas la charité à plus miséreux que toi mais aime les personnes, que tu rencontres, que tu aides ; ne fais pas l’aumône mais donne ton amour à autrui.

Marche, avance avec ton Dieu, qui ne siège pas tout là-haut mais qui chemine sur terre à tes côtés ; désinstalle-toi de ta vérité, de tes assurances, de ton orgueil ; quitte tes murs et deviens nomade, ouvert à ton prochain rencontré sur la route.

Adam sent alors l’énormité de la tache qui lui est confiée.

Il lui est plus facile d’offrir ses biens que d’engager sa personne.

Il est plus confortable d’espérer que Dieu lui accorde de bonnes choses  à force de prières plutôt que d’obéir à sa volonté et d’agir justement avec son prochain.

Il est plus gratifiant d’ériger un temple à Dieu que d’avancer avec lui sur des routes inconnues.

Adam regarde le monde et il se demande : par où vais-je commencer ?

Je regarde notre réalité contemporaine, si souvent proche du chaos et en même temps si complexe dans ses architectures, si mouvante inventive et changeante, une réalité, qui segmente, configure, fragmente et réarrange les choses à une vitesse vertigineuse et je me dis : comment m’y prendre ?  Comment concilier l’émiettement ressenti, l’émiettement du sens, des valeurs clairement définies avec la conscience aigüe de notre destinée commune, mondiale et planétaire ?

Plus les choses nous échappent, plus il nous est demandé de les penser ensemble et de les ordonner dans un tout cohérent pour pouvoir les sauvegarder.

Je regarde le monde…

La chrétienne en moi voit les Dalits, cette minorité chrétienne indienne qui a préparé le contenu spirituel de notre semaine de prière pour l’unité des chrétiens, des hommes, des femmes, des enfants persécutés, dont on brûle les maisons et qui sont exclus de leur société en raison de leur foi en Jésus-Christ.

La femme que je suis voit les femmes du Kivu à l’Est du Congo, ces femmes violées, mutilées, humiliées et détruites par des hommes surarmés et sans aucun scrupule, ces femmes, ces fillettes sur les corps desquelles se font les guerres sanglantes de notre époque.

La citoyenne en moi voit les décideurs politiques et financiers qui vont se réunir à Davos dès mercredi prochain au Forum économique mondial dans le but de prendre des décisions capitales pour notre avenir commun.

La pasteure que je suis est prise dans le concert pluriel des religions et des croyances, qui relativise tant le message chrétien que nous nous  sommes faits discrets, si discrets, que nous voilà aujourd’hui menacés d’insignifiance…

Face à ces défis redoutables, la tentation est forte de me mettre à l’abri, nous mettre à l’abri des murs épais de cette cathédrale, à l’abri de nos traditions, protestante ou catholique, qui nous portent et nous définissent et qui, si elles nous enferment, sont néanmoins rassurantes et reconnaissables. Sacrifions chacun à notre Dieu et gardons notre pré carré ; faisons de belles prières et n’intervenons pas trop dans le capharnaüm du monde…

Pratique la justice, aime la bonté, marche humblement avec ton Dieu…

Et la veine prophétique de notre foi est là ; elle nous interpelle ; elle nous interpellera toujours ; elle a coulé avec force dans la voix des prophètes de l’AT ; elle a irrigué la vie de Jésus et porté son message vers l’universel ; elle a nourri et inspiré les Réformateurs protestants ; elle a éveillé et éveille toujours des artisans de justice dans nos institutions ecclésiales…


Il y a plus de 10 ans elle a inspiré les personnes handicapées mentales de notre communauté.  Lors d’une AG où il s’agissait une fois de plus de se séparer, les catholiques d’un côté et les protestants de l’autre, des personnes H ont décrété qu’elles voulaient rester ensemble et décider les choses ensemble ; que c’était bien plus simple et qu’elles ne voyaient pas la nécessité de se séparer.  « Restons ensemble » ont-elles dit et cet appel si clair et si fort a donné naissance à une communauté œcuménique reconnue par les trois Eglises officielles de Genève ;  une communauté où il ne s’agit plus de savoir d’abord qui est protestant ou catholique mais de vivre ensemble l’Evangile et de témoigner de notre foi auprès des personnes H et de leurs familles et avec elles et grâce à elles.  « Restons ensemble au nom de notre foi en Jésus » et nous voici aujourd’hui l’abbé Giovanni, sœur Caroline et moi-même entourés de nos paroissiens nomades, sans paroisse fixe, pour vivre cette célébration avec vous paroissiens de St-Pierre, autour de la Parole et autour du pain et de vin partagés à une seule et même table.

 
Devenir quelqu’un – une personne, une communauté, une institution -  passe toujours par le chemin de l’autre ; on ne se construit pas contre l’autre, ni sans l’autre mais grâce à lui.


Adam s’est mis en marche et il réalise combien ses gesticulations religieuses sonnaient creux.  Il se sent un peu ridicule mais il avance au devant de ses frères et sœurs avec confiance et avec l’assurance qu’il a reçu de son Dieu une mission indispensable et vitale : pratiquer la justice et aimer faire le bien.

Amen
Laurence Mottier, pasteure