On t’a fait connaître, ô humain, ce qui est bon, ce que Dieu attend de toi…(Michée 6, 6-8)
Mais
l’humain, Adam, n’écoute pas ; Adam le glébeux, tiré de la terre et animé
du souffle, créature érigée dans une humanité qui se révolte contre son
Créateur, Adam résiste et s’invente une religion sanglante qui sert un dieu
cruel et punitif qu’il faut amadouer à force de sacrifices et d’offrandes…milliers
de bêtes, torrents d’huile, crimes sanglants pour apaiser un dieu qui rétribue
selon son bon plaisir…
Adam ne peut pas croire à la grâce offerte par son Dieu ; une grâce qu’il ne faudrait pas payer un jour ou l’autre ? Voyons, cela n’existe pas !
Adam se sent
coupable ; il se sait imparfait tout en se rêvant tout-puissant ; il
se rêve Dieu alors qu’il patauge dans la souffrance ; et sa violence,
mille fois rejouée, défigure l’humain et défigure la terre; alors Adam est prêt à tout donner, jusqu’à la
vie de son propre enfant pour obtenir de Dieu grâce et pardon. Adam est passé maître dans l’art de monnayer
sa vie, sa réussite, sa santé, sa fortune, son pouvoir et sa bonne conscience.
Hé, Dieu si
je te donne
une grosse somme d’argent, ce que j’ai de plus précieux…m’accorderas-tu…ce que je veux
(guérison, succès, bonheur…)
Dis-moi ce
que je dois te donner pour éviter maladie, malheur et infortune…
Adam fait du troc
avec Dieu ; il pense pouvoir manipuler Dieu.
La voix du
prophète Michée tonne et lui dit : Stop, Adam ! Arrête !
Ce que Dieu attend
de toi, c’est tout autre chose que ton bétail et tes biens …c’est de toi qu’il
a besoin : de tes mains, de ton cœur, de ta sueur, de ton intelligence et
Dieu place devant toi 3 actions, qu’il te faut saisir : 3 verbes : pratiquer,
aimer, marcher.
Ce que tu
possèdes n’intéresse pas Dieu ; ce que tu es toi, ce que tu es capable
d’accomplir avec ta propre vie, voilà ce que Dieu veut, voilà ce qu’il
revendique.
Pratique la
justice, fais régner le droit, ne favorise personne, protège les plus faibles,
ne bafoue pas le droit du pauvre, du marginal, de l’étranger, des plus fragiles
et répartis les richesses, donne un sens à l’économie pour améliorer la vie de tous.
Aime la bonté,
ne fais pas la charité à plus miséreux que toi mais aime les personnes, que tu
rencontres, que tu aides ; ne fais pas l’aumône mais donne ton amour à
autrui.
Marche,
avance avec ton Dieu, qui ne siège pas tout là-haut mais qui chemine sur terre
à tes côtés ; désinstalle-toi de ta vérité, de tes assurances, de ton
orgueil ; quitte tes murs et deviens nomade, ouvert à ton prochain
rencontré sur la route.
Adam sent
alors l’énormité de la tache qui lui est confiée.
Il lui est
plus facile d’offrir ses biens que d’engager sa personne.
Il est plus
confortable d’espérer que Dieu lui accorde de bonnes choses à force de prières plutôt que d’obéir à sa
volonté et d’agir justement avec son prochain.
Il est plus
gratifiant d’ériger un temple à Dieu que d’avancer avec lui sur des routes
inconnues.
Adam regarde
le monde et il se demande : par où vais-je commencer ?
Je regarde
notre réalité contemporaine, si souvent proche du chaos et en même temps si
complexe dans ses architectures, si mouvante inventive et changeante, une
réalité, qui segmente, configure, fragmente et réarrange les choses à une
vitesse vertigineuse et je me dis : comment m’y prendre ? Comment concilier l’émiettement ressenti,
l’émiettement du sens, des valeurs clairement définies avec la conscience aigüe
de notre destinée commune, mondiale et planétaire ?
Plus les
choses nous échappent, plus il nous est demandé de les penser ensemble et de
les ordonner dans un tout cohérent pour pouvoir les sauvegarder.
Je regarde le
monde…
La chrétienne
en moi voit les Dalits, cette minorité chrétienne indienne qui a préparé le
contenu spirituel de notre semaine de prière pour l’unité des chrétiens, des
hommes, des femmes, des enfants persécutés, dont on brûle les maisons et qui
sont exclus de leur société en raison de leur foi en Jésus-Christ.
La femme que
je suis voit les femmes du Kivu à l’Est du Congo, ces femmes violées, mutilées,
humiliées et détruites par des hommes surarmés et sans aucun scrupule, ces
femmes, ces fillettes sur les corps desquelles se font les guerres sanglantes
de notre époque.
La citoyenne
en moi voit les décideurs politiques et financiers qui vont se réunir à Davos
dès mercredi prochain au Forum économique mondial dans le but de prendre des
décisions capitales pour notre avenir commun.
La pasteure
que je suis est prise dans le concert pluriel des religions et des croyances, qui
relativise tant le message chrétien que nous nous sommes faits discrets, si discrets, que nous
voilà aujourd’hui menacés d’insignifiance…
Face à ces
défis redoutables, la tentation est forte de me mettre à l’abri, nous mettre à
l’abri des murs épais de cette cathédrale, à l’abri de nos traditions,
protestante ou catholique, qui nous portent et nous définissent et qui, si
elles nous enferment, sont néanmoins rassurantes et reconnaissables. Sacrifions
chacun à notre Dieu et gardons notre pré carré ; faisons de belles prières
et n’intervenons pas trop dans le capharnaüm du monde…
Pratique la justice, aime la bonté, marche humblement avec ton Dieu…
Et la veine
prophétique de notre foi est là ; elle nous interpelle ; elle nous
interpellera toujours ; elle a coulé avec force dans la voix des prophètes
de l’AT ; elle a irrigué la vie de Jésus et porté son message vers
l’universel ; elle a nourri et inspiré les Réformateurs protestants ;
elle a éveillé et éveille toujours des artisans de justice dans nos
institutions ecclésiales…
Il y a plus
de 10 ans elle a inspiré les personnes handicapées mentales de notre communauté. Lors d’une AG où il s’agissait une fois de plus
de se séparer, les catholiques d’un côté et les protestants de l’autre, des
personnes H ont décrété qu’elles voulaient rester ensemble et décider les
choses ensemble ; que c’était bien plus simple et qu’elles ne voyaient pas
la nécessité de se séparer.
« Restons ensemble » ont-elles dit et cet appel si clair et si
fort a donné naissance à une communauté œcuménique reconnue par les trois Eglises
officielles de Genève ; une communauté
où il ne s’agit plus de savoir d’abord qui est protestant ou catholique mais de
vivre ensemble l’Evangile et de témoigner de notre foi auprès des personnes H
et de leurs familles et avec elles et grâce à elles. « Restons ensemble au nom de notre foi
en Jésus » et nous voici aujourd’hui l’abbé Giovanni, sœur Caroline et
moi-même entourés de nos paroissiens nomades, sans paroisse fixe, pour vivre
cette célébration avec vous paroissiens de St-Pierre, autour de la Parole et
autour du pain et de vin partagés à une seule et même table.
Adam s’est
mis en marche et il réalise combien ses gesticulations religieuses sonnaient
creux. Il se sent un peu ridicule mais
il avance au devant de ses frères et sœurs avec confiance et avec l’assurance qu’il
a reçu de son Dieu une mission indispensable et vitale : pratiquer la justice et aimer faire le bien.
Amen
Laurence Mottier,
pasteure